Histoire & Cinéma • Le « Danton » de Wajda, un révélateur
Pae Jean-Philippe Chauvin
Le cinéaste polonais Andrzej Wajda vient de mourir, rejoignant au paradis des grands hommes l’autre grand Polonais du siècle, le pape Jean-Paul II, en attendant Lech Walesa, l’ouvrier des chantiers de Gdansk. Au moment même où la Pologne oublie ses liens historiques avec la France et préfère des hélicoptères états-uniens aux appareils français Caracal, il n’est pas inutile néanmoins de nous souvenir de ce film de Wajda qui porte sur une part sombre de notre propre histoire, la Révolution française, et qui vit Gérard Depardieu endosser le rôle d’un Danton entraîné et dépassé par l’événement. « Danton » est un film qui, comme le rappelle Guillaume Perrault dans les colonnes du Figaro de ce mardi 11 octobre, a fortement dérangé une certaine gauche qui s’apprêtait alors à célébrer le bicentenaire de la Révolution de 1789, en particulier par ce qu’il disait de l’esprit des républicains de 1794 et du mécanisme qu’ils avaient mis en place et qui, d’ailleurs, allait broyer la plupart d’entre eux…
Je me souviens que Combat royaliste, l’éphémère journal du MRF (Mouvement Royaliste Français), avait, à l’époque, vanté ce film surprenant qui détruisait le mythe d’une Révolution innocente et vertueuse. De plus, nous regardions alors avec intérêt ce qui se passait dans la patrie du cinéaste, arborant parfois sur nos pulls le badge « Solidarnosc » et défilant contre ce communisme qui restait encore (mais plus pour longtemps) maître du jeu de l’autre côté du Rideau de fer, et nous ne pouvions nous empêcher de faire des rapprochements entre les deux régimes dictatoriaux, celui de 1794 en France et celui des années 1980 en Pologne (même si cette dernière n’était pas la Russie de Lénine). En cela, Wajda confirmait ce que nous disions depuis si longtemps et il y apportait sa crédibilité et son statut de grand cinéaste mondialement reconnu.
Guillaume Perrault résume avec bonheur la réception de ce film emblématique dans la France de François Mitterrand, ce président ambigu dont je soupçonne désormais qu’il n’était pas forcément mécontent de participer, à sa manière de « Florentin », à la déconstruction du mythe grand-révolutionnaire… « Le ministère de la culture, dirigé à l’époque par Jack Lang, a accepté de coproduire Danton de Wajda. Or, sorti sur les écrans français en janvier 1983, le film stupéfie ses bailleurs de fonds. Loin de donner une image « globalement positive » de la Révolution comme ils l’escomptaient, l’artiste polonais peint la Terreur dans toute son horreur. Il décrit la peur qui taraude les Conventionnels face à Robespierre, croque les membres les plus extrémistes du comité de salut public – Collot d’Herbois, Billaud-Varenne – comme des demi-fous, ressuscite le règne de la délation, la paranoïa, les procès truqués, la guillotine. » Pour le royaliste que j’étais, fortement imprégné de la pensée contre-révolutionnaire et « héritier » des Vendéens et des Chouans (dont j’appris bien plus tard qu’ils avaient pu être mes ancêtres de chair, près de Loudéac et à Saint-Florent-le-vieil !), ce film était une « divine surprise » qui venait appuyer et approuver, par le talent du cinéaste et par l’image, ma propre dénonciation de ce qu’avait été le moment fondateur de la République en France. Mais, étrangement, je n’avais pas vraiment « exploité » cette œuvre, comme si j’avais craint, en le faisant, de la rendre moins convaincante aux yeux des spectateurs : une timidité que je n’ai plus désormais, d’ailleurs !
La République a-t-elle développé, en sa période inaugurale, une sorte de totalitarisme, heureusement inachevée ? Peut-être n’en avais-je pas alors, au début des années 1980 et de mon engagement politique, entièrement conscience, malgré ma lecture de Bertrand de Jouvenel, et il me faudra attendre un séminaire organisé par la revue rouennaise L’Avant-garde royaliste sur « le totalitarisme », l’année suivante je crois, pour m’en convaincre vraiment. Tout comme je ne prendrai vraiment conscience des méthodes exterminatrices de la Première République en Vendée que lorsque Reynald Secher viendra présenter à ma mère (et en ma présence), un soir d’automne, quelques unes de ses découvertes faites dans des cartons d’archives jusque là inexploités. Lui-même s’avouait estomaqué par ce qu’il avait trouvé et qui dépassait tout ce que l’on pouvait imaginer et craindre… Et c’était moi, le royaliste, qui semblait incrédule devant les preuves qu’ils m’annonçaient de cet infernal génocide, voté par les Conventionnels en 1793 !
Pourtant, Wajda avait ouvert la voie d’une reconnaissance plus vaste des mécanismes sanglants des régimes totalitaires par la force évocatrice de son œuvre et l’interprétation magistrale d’un Depardieu, Danton à la fois « grande gueule » et étonnamment faible et fataliste face à l’engrenage de la Terreur dont il avait créé l’un des principaux instruments, le Tribunal révolutionnaire.
Par son film, « Wajda livre le fond de son âme : la Terreur est une première manifestation du totalitarisme. L’excuse par les circonstances (la nécessité de lutter contre les ennemis intérieurs et extérieurs), invoquée par les ex-terroristes eux-mêmes après le 9 Thermidor et répétée par des générations d’hommes politiques et historiens français pendant un siècle et demi, se révèle spécieuse. Et c’est à bon droit que Lénine comptait les Jacobins parmi ses précurseurs. » Nombre de républicains français verront ainsi dans la révolution bolchevique russe une répétition (victorieuse pour quelques décennies) de la Grande Révolution française, et préféreront fermer les yeux sur les crimes de Lénine en se rappelant que « la fin justifie les moyens », et que Robespierre, après tout, n’avait pas agi autrement que le dictateur communiste : n’était-ce pas pour la « bonne » cause ?
Les totalitarismes reposent aussi sur l’aveuglement et le déni des réalités, et cela en tout temps : Andrzej Wajda, en définitive, le montrait quand les réactions de la Gauche de l’époque le démontraient… •
Commentaires
Ecoliers de France, nous n'avons appris l'histoire que par le miroir déformé des représentants de la république, fiers descendants de"Robespierre Danton et tous les autres fous de la terreur.La Vendée de 1793 1794 a été un génocide désigné par Paris, et les bourreaux sont inscrits dans le marbre de la république. Oui la république a fait en sorte que tous les Français contemporains , et ceux qui deviennent Français croient qu'en 1791 et 1794 le peuple était révolutionnaire, parce que nos républicains voudraient qu'on le soit encore. Le Français n'est pas révolutionnaire , terroriste, il est intrinsèquement râleur et querelleur. Mais qui sait que la majorité des guillotinés ont été des ouvriers et des paysans,pour..peu de nobles. Qui de nous a compris que nos élus issus de la haute bourgeoisie ont remplacés la noblesse de l'ancien régime et se sont installés dans les ors des palais de ceux qu'ils ont chassés au nom du peuple Rien n'a changé, nous sommes actuellement dans le déni de vérité, aveuglé par des médias qui enjolivent les débats stériles, cachant les graves problèmes qui vont nous anéantir. Qui va faire comprendre au peuple de France et d'Europe que leur idéologie dite libérale , n'est autre que l'esclavage programmé de tous les peuples et donc de celui de notre France. Et si on arrêtait de courir après le temps et l'argent, et si on se parlait , et si on prenait le temps d'observer la nature. Des dictateurs il y en aura encore puisque nous sommes incapables d'accepter la vérité et de bien raisonner, pourtant Fénélon nous l'avait bien recommandé.
Bonjour LE CASQUER ! Que j'aime votre phrase
Que 'j'aime entendre dire le le libéralisme est l'esclavage ! Rome condamnait le libéralisme dans ses encycliques du 19 éme siécle !Bravo
Pas d'accord avec vous sur ce que pensait Mitterrand de "Danton". Voici ce que racontait Philippe d'Hugues, alors membre du CNC, C'était lors de la journée organisée autour du thème : existe-t-il encore un cinéma chrétien en France, en Europe, dans le Monde?
Mittterrand comme Lang faisait la g...de s'être fait berner:
Philippe d’Hugues : Chez Wajda, il faut toujours regarder les dernières images. Ainsi je voudrais raconter une des plus amusantes anecdotes de ma carrière : lors du bicentenaire de la révolution, on a commandé plusieurs films, officiels, et Jack Lang avait eu l’idée de génie ( ?) de commander un film sur Danton à Wajda ; avec Gérard Depardieu en vedette : ce devait être le grand événement de la célébration, avec les deux films dont l’un devait être plus ou moins supervisé par Jean Tulard, qui m’a avoué, un jour, avoir touché un chèque agréable, et qui n’avait plus jamais entendu parler du film. On ne lui a jamais demandé son avis.
Le film sur Danton se fait donc, Depardieu et…
Daniel Hamiche : un allemand (Non, Wojciech Pszoniak qui joue Robespierre est polonais D B)
Philippe d’Hugues : …et on organise une grande avant-première dans le saint des saints, à la Cinémathèque française. Du fait de mes fonctions à l’époque, j’y ai assisté et ce n’était pas n’importe quoi ! il y avait François Mitterrand, à sa droite Jack Lang, à sa gauche, quelques autres ministres et secrétaires d’Etat, une partie de la
profession. J’étais assis avec le vulgum pecus dans la grande salle du Palais de Chaillot, avec ma femme, et pendant que le film passait, je me disais : mais ça ne doit pas tellement leur plaire ; et à la fin du film, décidément ma conviction était faite : je regarde attentivement sur quoi se termine le film : c’était l’image de la guillotine, et un petit garçon (le petit frère de la compagne de Robespierre DB) à qui on faisait réciter le catéchisme républicain tel que le préconisait Saint-Just : la Déclaration des Droits de l’Homme, quelque chose que Saint-Just a écrit noir sur blanc et que Wajda a repris…la lumière se rallume et on se dit : la révolution française peut être résumée à la guillotine et le catéchisme républicain obligatoire pour tous les petits garçons de moins de 10 ans.
Je me dis : ils vont en faire une drôle de gueule ! Ils en faisaient une bien pire que ce que j’avais imaginé ! (rires) Je me suis retourné et j’ai vu Mitterrand blême, hiératique, Jack Lang qui rasait les murailles, les autres ministres s’étant évanouis dans la nature, et au buffet, en haut de l’escalier près de la sortie, notre ami Wajda qui avait passé toute la projection à vider coupe sur coupe, absolument hilare ; et quand il a vu les officiels et qu’aucun n’est venu le féliciter (Mitterrand, poliment, lui a serré la main en partant sans desserrer les dents et s’est éclipsé), Jack Lang a noyé son embarras dans quelques coupes de champagne… C’était d’une drôlerie !
Merci Saint Georges vous avez bien raison de rappeler que Mitterrand a été pris par la surprise devant le résultat et les dents serrés avaient du bout des doigts serré la main de Wajda, avant de s’éclipser. . Fine mouche il avait bien compris que ce film s’il était projeté dans les écoles, dégoûterait toute âme bien née de la révolution et de ses thuriféraires es/
. Le paradoxe , c'est qu'ils avaient toute la bande, Jack Lang en tête commandité ce film à Wajda, croyant que c’était du gâteau, la glorification sans risques du bon Danton face à Robespierre. Or, c’est tout le contraire, qui se passe : le film déboulonne la statue de Danton , montrant que ce tribun est en fait un cabot qui n’en peut plus, et qui veut jouir des avantages matériels qu’il a obtenu, de s sa joli e jeune femme, alors que Robespierre sait ce qu’il veut : poursuivre le processus sanglant et aller jusqu’au bout de sa folle et sanguinaire logique. Wajda raconte l’histoire et les enjeux avec l’aide de Büchner , qui a écrit en 1835 une pièce la mort de Danton , certes favorable à la révolution, mais en creusant les enjeux .
Mais avec Wajda , sa fougue et son lyrisme personne parmi les acteurs de la révolution n’en sort indemne .et c’est justice , car Wajda raconte vraiment ce qui s’est passé
Jack Lang et sa bande , Il les donc bien eues , il savait jongler avec les pouvoirs ;
. A l'é poque j'avais commis une critique de ce film dans la revue "Place royale" Je crois que je l'avais intitulée " LA révolution sans anesthésie"( il faudra que je la retrouve) . J'avais remarqué que les critiques de cinéma de l’époque dans l'ensemble n'avaient rien compris à l’œuvre de Wajda, n’ y avaient pas réfléchi, confondant la figure de Danton avec Walesa, répétant en boucle les mêmes niaiseries, s e passant un dossier de presse bâclé.
A croire que la révolution française est plus qu’un sujet tabou, elle paralyse la réflexion, nous pétrifie. . Avec ce film Wajda creuse la sienne et règle aussi indirectement s des comptes avec le régime qu’il subissait à l’époque, car les deux époques, révolution française et communisme sont liées.
Pas étonnant qu’à s a mort il n’ait pas eu en France l’hommage qui lui est dû, et que son avant dernier film Katyn soit passé à la trappe : diffusion massacrée à sa sortie confidentielle , seulement deux salles à Paris. Nous attendons une rediffusion la télé Les commissaires politiques veillent, mais nous aussi.